Eh oui, on pourrait penser que les tumeurs mammaires ne concernent que Madame la rate, mais comme on le verra plus loin, il existe aussi des tumeurs mammaires chez Monsieur le rat, (quoique moins souvent que chez la femelle, quand même), d’où le titre de cet article.

Rats, cobayes, hamsters… peuvent, comme le chien et le chat, être affectés par toutes sortes de tumeurs : adénome hypophysaire (la tumeur la plus fréquente chez le rat après les tumeurs mammaires), léiomyome de l’utérus chez les cobayes, tumeurs pulmonaires, cutanées, lymphome, leucémie, etc etc. Nous nous intéresserons dans cet article à l’une des tumeurs des rongeurs les plus fréquentes, chez le rongeur sans doute le plus touché par les tumeurs (il y en a qui cumulent…) : les tumeurs mammaires de la rate (et donc, accessoirement, du rat).
Un peu d’anatomie
Alors, un peu d’anatomie pour commencer : le tissu mammaire du rat est très développé dans les deux sexes. Il s’étend de la région cervicale (autrement dit, le cou), jusqu’à la région inguinale (autour de l’anus, s’étendant même sur les fesses !). Sur les côtés, il remonte jusqu’au niveau des omoplates. Autant dire que les tumeurs mammaires ne se localiseront pas qu’au niveau des tétines ou entre celles-ci, comme c’est généralement le cas chez la chienne ou la chatte : une grosse boule sous le cou ou au milieu du flanc d’une rate, ça pourra être une tumeur mammaire ! Pour être complet, précisons que le rat est doté de six paires de mamelles : trois thoraciques, une abdominale et deux inguinales… et que comme si ça ne suffisait pas, on trouve parfois des mamelles surnuméraires.


Répartition du tissu mammaire chez la rate (et le rat) : on en trouve à peu près tout autour du cou, jusqu’en haut des omoplates et autour de l’anus.

Illustration de l’étendue du tissu mammaire (donc des localisations possibles de tumeurs mammaires) chez la rate : ici, deux tumeurs mammaires de grande taille (flèches noires) très latéralement le long de la cuisse d’une rate. La flèche rouge indique le genou de la petite bête.
Quelles causes pour les tumeurs mammaires ?
Qu’est-ce qui fait qu’un rat va fabriquer des tumeurs mammaires ? C’est essentiellement la faute à deux hormones : les œstrogènes et la prolactine. Les œstrogènes sont sécrétés par les ovaires. Ils permettent le développement du tissu mammaire, donc ça, c’est bien… mais si on en administre à un rat sur le long terme, on augmente la fréquence d’apparition des tumeurs mammaires, ce qui est nettement moins bien ; et si on en donne de fortes doses, là on favorise le développement des tumeurs de l’hypophyse (on rappelle que ce sont les tumeurs les plus fréquentes chez le rat après les tumeurs mammaires). A l’inverse, si on retire chirurgicalement les ovaires (ovariectomie), crac : plus d’œstrogènes, et la fréquence d’apparition des tumeurs mammaires diminue : on en reparle plus loin, avec la prévention. Voilà pour les œstrogènes. Maintenant, la prolactine : elle est produite par l’hypophyse… ce qui fait que son taux augmente en cas d’adénome hypophysaire ; (adénome hypophysaire dont la formation est favorisée, on vient de le voir, par de fortes doses d’œstrogènes !). La prolactine provoque la croissance du tissu mammaire et la production de lait, (ça c’est bien), mais elle favorise aussi la multiplication des cellules tumorales et inhibe leur apoptose (= leur mort programmée), ce qui est beaucoup moins bien. Comme pour les œstrogènes, un traitement à long terme favorisant la production de prolactine augmente la fréquence d’apparition des tumeurs mammaires. A l’inverse, si on diminue la production de prolactine, on diminue la fréquence des tumeurs mammaires. Même s’il n’est pas (encore) formellement établi, un lien est donc fortement suspecté entre tumeurs mammaires et adénomes hypophysaires chez le rat.
A côté des hormones, d’autres facteurs jouent ou semblent jouer un rôle favorisant : une alimentation trop grasse et calorique ; le stress : ça peut sembler bizarre, mais les rates néophiles (celles qui veulent absolument découvrir toutes les nouveautés dans leur environnement, des fashion victims, en quelque sorte), font des tumeurs mammaires plus tardivement que les rates stressées, qui restent bloquées dans leur coin ; et puis la génétique, ce qui fait que quand on choisit son rat, ça vaut le coup de savoir si les parents et les frères et sœurs ont eu des tumeurs mammaires – si tant est que cette information soit disponible, ce qui est rarement le cas !
Photo ci-contre : Ratatouille dans sa petite maison : aucune envie d’aller explorer son environnement !

Quelques chiffres
Maintenant qu’on sait ce qui provoque l’apparition et le développement des tumeurs mammaires du rat, quelques chiffres : les tumeurs mammaires représentent 50% des masses présentes sous la peau des rats. On les trouve surtout chez la femelle âgée de 1,5 à 2 ans ou plus : 30 à 90% des rates non stérilisées feront au moins une tumeur mammaire au cours de leur vie. (De 30 à 90, vous me direz que la fourchette est large, mais ça dépend de la génétique familiale : voir le paragraphe précédent). Chez le mâle, ce sont 0,5 à 16% des rats qui feront une tumeur mammaire dans leur vie. Coup de chance, si l’on peut dire, dans ce tableau un peu désolant : 80 à 95% de toutes ces tumeurs mammaires sont bénignes (fibroadénomes essentiellement)… les 5 à 20% restant étant constitués d’adénocarcinomes malins.
Description des tumeurs
A quoi ressemblent ces tumeurs ? Les fibroadénomes (bénins) sont le plus souvent bien délimités, fermes, de forme ovoïde, et on peut facilement les faire bouger sous la peau… ce qui ne les empêche pas de devenir gênants au bout d’un moment : ils peuvent en effet grossir rapidement, jusqu’à atteindre 8-10 cm de diamètre, (par rapport à la taille du rat, c’est quand même pas mal), et dépasser 50% du poids de la bestiole ! Et après, ils peuvent aussi s’ulcérer, saigner, se nécroser, s’infecter… avec les douleurs qui en résultent. Tout ceci histoire de rappeler que ce n’est pas parce qu’on est une tumeur bénigne qu’on ne va pas mettre la pagaille.
Les adénocarcinomes, eux, sont mal délimités, très vascularisés, adhérents aux plans profonds : il est difficile de les faire bouger.
Rappelons que du fait de la disposition étendue du tissu mammaire, une masse sous le cou, ou au milieu du flanc d’un rat, peut très bien être une tumeur mammaire.
Photo ci-contre : l’intervention de Bonnie vient de se terminer, la petite bête se réveille bien. Les tumeurs étaient assez mal délimitées, très vascularisées… ce qui irait plutôt dans le sens d’un adénocarcinome, mais on ne pourra rien affirmer tant qu’on n’aura pas les résultats de l’analyse histologique !

Conduite à tenir
Donc maintenant, on a la rate devant nous, avec sa grosse boule sous la peau du ventre ou du flanc : qu’est-ce qu’on fait ? Partons du principe que la tumeur est opérable techniquement, (qu’il n’y en a pas absolument partout), et que l’état de l’animal permet d’envisager l’intervention, faute de quoi… il n’y aura malheureusement pas grand chose à faire. Première possibilité, on vérifie qu’il s’agit bien d’une tumeur, si oui, une tumeur mammaire, et on évalue sa malignité. Pour cela, on réalise une biopsie, ou éventuellement une simple cytoponction. Avantage : c’est toujours bien de connaître précisément la nature de ce qu’on va enlever afin de préciser le pronostic, choisir la meilleure option chirurgicale, etc. Inconvénient : on doit endormir la petite bête une première fois pour réaliser les biopsies, et une deuxième fois dix jours plus tard, après réception des résultats, pour le retrait de la tumeur. Comme toujours en médecine, tout se discute, mais il est vrai qu’en pratique courante, on a plutôt tendance à considérer que les tumeurs mammaires du rat sont le plus souvent bénignes, que celle-ci va grossir, gêner… donc on l’enlève et après, on fera analyser ce qu’on a retiré. Si on a un doute quant à la malignité de la tumeur, il peut aussi être intéressant de réaliser un bilan d’extension avant d’opérer, afin de s’assurer qu’on n’a pas de métastases plein les poumons ou les ganglions, auquel cas il ne serait pas pertinent d’opérer un animal condamné à court terme. La recherche de métastases peut se faire par radiographie, (pour les poumons), échographie, voire scanner… Là aussi, la conduite à tenir se discute, en tenant compte de l’intérêt du bilan d’extension par rapport, notamment, au coût des examens complémentaires.


Photo de gauche : Biscotte, prête pour sa chirurgie (ce sont ses tumeurs, qu’on a vues plus haut, sur l’avant de la cuisse) : tapis chauffant, anesthésie gazeuse et monitoring cardiaque, il ne manque plus que les champs opératoires. Ci-dessus : le réveil, tranquille, dans son box.
Pour ce qui est de la chirurgie elle-même, impossible, comme chez la chienne ou la chatte, de retirer une chaîne mammaire complète, c’est à dire tout le tissu mammaire d’un des deux côtés (et si nécessaire, le deuxième côté un peu plus tard) : on l’a vu, le tissu mammaire du rat est trop étendu, il faudrait pour cela lui dépecer plus de la moitié du corps. Donc on enlève ponctuellement la ou les tumeurs présentes, en sachant qu’il pourra en repousser d’autres dans le tissu mammaire restant. Certains auteurs conseillent de profiter de l’intervention pour stériliser la rate en même temps : pouf ! plus d’ovaires, plus d’œstrogènes, le risque de récidive serait diminué et la durée de vie de la bestiole augmentée : 89 % de survie à 630 jours si on stérilise en même temps qu’on enlève les tumeurs, contre 59 % dans le cas contraire, selon une étude. D’autres auteurs considèrent, en revanche, que cette pratique n’a pas prouvé son efficacité, le risque d’ajouter une ovariectomie à une exérèse de tumeur mammaire devant alors être discuté. Pas de certitude non plus avec une stérilisation « chimique » qui consisterait à mettre en place un implant de desloréline en même temps que l’on retire les tumeurs mammaires. En cas d’adénome hypophysaire associé, on peut toujours tenter un traitement visant à en réduire la taille, et à diminuer du même coup la production de prolactine, dont on a vu plus haut le rôle qu’elle joue dans le développement des tumeurs mammaires.


Photo de gauche : qu’elles soient bénignes ou malignes, les tumeurs mammaires peuvent être de grande taille chez la rate. Ici, l’abdomen est rasé, la petite bête va pouvoir passer au bloc.
Photo de droite : l’intervention est terminée, la cicatrice est impressionnante, et on notera une fois de plus l’extension des tumeurs jusqu’au milieu du flanc et à la face externe de la cuisse, bien au-delà de ce qu’on peut trouver chez la chienne ou chez la chatte.
Et en prévention ?
Mieux vaut prévenir que guérir : que faire pour éviter d’en arriver là ? On vient de le voir, stériliser notre rate en même temps qu’on lui retire une ou plusieurs tumeur(s) mammaire(s) n’a pas d’effet protecteur démontré, par rapport au développement de nouvelles tumeurs mammaires. En revanche, une stérilisation précoce entre 3 et 6 mois, diminue le risque pour de bon : 4% des rates stérilisées à 90 jours font des tumeurs mammaires, contre 47% des non stérilisées. (En sachant tout de même que le risque de développer une ostéopénie est augmenté en cas de stérilisation avant l’âge de 4 mois). La stérilisation précoce diminue aussi le risque d’adénome hypophysaire chez le rat plus âgé (18 mois). Et on a vu qu’il vaut mieux (à tout point de vue, et d’ailleurs pas seulement chez le rat), éviter une alimentation trop grasse et calorique.
Quel pronostic ?
Concernant le pronostic : s’il s’agit d’une tumeur bénigne (fibroadénome), il est favorable… à condition de ne pas attendre qu’elle ait recouvert la moitié du ventre et se soit ulcérée, et qu’elle ne soit pas non plus trop mal placée (par exemple, certains fibroadénomes peuvent être adhérents à l’urètre). Il faut aussi se rappeler que les mêmes causes entraînant les mêmes effets et dans la mesure où il est impossible de retirer la totalité du tissu mammaire, une fois qu’on a retiré une tumeur, notre rat(te) pourra toujours en fabriquer d’autres un peu plus loin. S’il s’agit d’une tumeur maligne (adénocarcinome), le pronostic est plus mauvais.
Principales références :
1 – Lucas Flenghi & Coll : Les tumeurs mammaires chez le rat. Le Point Vétérinaire, Nov 2019, 400 : 28-31.
2 – Julien Goin : Les tumeurs mammaires chez le rat. La Semaine Vétérinaire 27/03/2015, n° 1623
